Trois ans. Cela faisait trois ans que j'étais parti de chez mes parents à Céladopole, trois ans que je n'y étais pas retourné. Obsédé à l'idée de trouver les responsables de la transformation de Léanne, je m'étais lancé dans une enquête sur la Team Rocket. Mais contrairement à Red, je n'étais pas en mesure de m'y frotter de front. Il me fallait alors réunir suffisamment d'informations pour faire mander une opération policière de grande envergure, et ce sans éveiller trop de soupçons. Si je me faisais trop remarquer par l'organisation criminelle, celle-ci allait dépêcher ses membres pour me faire taire, et ayant préservé Abra et Eléana des combats, les pouvoirs de ceux-ci ne seraient pas assez grands pour me défendre. Et hors de question de m'en servir comme boucliers. S'ils n'étaient pas en mesure de se battre contre mes adversaires, autant ne pas les envoyer au combat. De plus, du fait que je n'avais pas pour objectif de relever le défi de la Ligue Pokémon, je pouvais me permettre de décliner les combats que me réclamaient les autres dresseurs. Mais il me fallait me rendre face à l'inévitable : si je n'entraînais pas mes Pokémon, il arriverait un moment où je m'en mordrais les doigts. Je devais donc me décider à accepter certains combats. Dès lors, je ne pouvais plus me permettre d'éviter les herbes hautes, où se terraient les Pokémon sauvages.

J'avais décidé pour ça de me rendre au Mont Sélénite, qui était réputé pour être l'habitat des Mélofée. Mais d'autres espèces m'intéressaient plus, vivant autour du Mont, comme Natu, qui était un Pokémon psychique plus mystique. Ce Mont avait aussi l'avantage d'être sur la route de Céladopole. Cela faisait trop longtemps que j'avais laissé mes parents sans nouvelles, et j'imaginais assez bien leur réaction au matin de mon départ, ainsi que celle qui allait être la leur quand j'allais frapper à la porte. Mon père avait dû se mettre en colère, contre moi déjà, puis contre ma sœur qui ne m'avait pas empêché de partir, avant de fondre en larmes comme avait déjà dû le faire ma mère. Puis, une fois remis, je sentais leur fierté de voir que leur fils avait décidé de venger leur fille. Mais je me doutais que le retour à la maison allait être bruyant. Cependant, ce que je redoutais surtout, c'était de voir l'état de ma sœur. J'avais entendu parler de mutations évolutives, en plusieurs étapes, et j'avais peur que l'apparence de Léanne ne soit qu'une étape, sa transformation ayant été provoquée par la main de l'Homme. Ce n'était sans doute qu'une peur infondée, mais elle me taraudait l'esprit tout de même. Assise à ce moment sur ma tête, Eléana avait dû ressentir ma préoccupation, car je sentis une vague d'émotion positive me parvenir. Je caressais le haut de sa tête en la remerciant de se soucier de moi, en ne pouvant m'empêcher de me dire que c'était vraiment comme si c'était ma sœur qui m'accompagnait et non un Pokémon portant un prénom dérivé du sien.

Ce jour-là, j'avais décidé de garder Eléana sur ma tête, tandis qu'Abra était dans sa Poké Ball, de façon à ne pas avoir un poids trop lourd sur ma tête et mes épaules. De toute façon, Abra devait dormir, qu'il soit sur mon épaule ou dans sa Poké Ball, donc ça ne devait pas trop le déranger, tandis qu'Eléana était toujours ravie d'être en hauteur et poussait de petits cris de joie à chaque fois qu'elle voyait quelque chose de nouveau, ce qui m'amusait beaucoup. Elle me donnait l'impression de m'occuper d'une petite fille enchantée par le monde qui l'entoure, alors qu'Abra me faisait l'effet d'un enfant sage. De fait, j'appréciais la compagnie d'Abra pendant mes recherches, et celle d'Eléana était très plaisante lors des voyages. Mais, que cela soit clair, je ne faisais pas de favoritisme entre mes Pokémon. Ils étaient tous les deux uniques à leur façon. Abra était mon premier Pokémon, tandis qu'Eléana m'avait été remise par ma sœur. Je n'aurais donc pu faire l'amalgame entre les deux. Je prenais donc à cœur de répartir équitablement le temps pendant lequel chacun était en-dehors de sa Poké Ball, et les deux se reposaient à l'intérieur de celle-ci pendant la nuit.

Après quelques heures de marche à un rythme très détendu, n'étant pas pressé, je décidai de m'asseoir un peu. Je déposai Eléana par terre, et fis sortir Abra. J'avais pris soin, peu après mon départ, de me procurer un livre traitant des baies comestibles par les Pokémon et par les humains, de sorte de pouvoir me sustenter en-dehors des villes. J'avais également à cœur de toujours disposer d'une réserve au cas où je serais dans un endroit où il ne serait pas possible de trouver d'autres baies. J'en pris alors une quantité raisonnable parmi celles ne nécessitant pas de préparation particulière, n'étant pas en mesure de les chauffer ou de les couper, puis je les distribuai entre nous trois. J'avais vite noté qu'Eléana avait ses préférences, trépignant lorsqu'elle ne voulait pas de certaines baies, ou au contraire jouant sur l'émotion pour avoir de ses préférées. A l'inverse, Abra et moi n'étions pas bien difficiles, et nous contentions de celles à l'aspect et au goût convenables, aussi n'était-il pas bien gênant que ma Tarsal fasse sa difficile. Après avoir mangé, j'appelai mes Pokémon, pour qu'ils écoutent ce que j'avais à dire.

"Eléana, Abra, nous arriverons bientôt à Céladopole, mais avant, il faut que je commence à vous entraîner au combat. Vous le savez tous les deux, on essaie de savoir ce que la Team Rocket prévoit de faire dans les prochains jours, semaines ou mois, pour essayer d'être en mesure de prévenir tout le monde, mais pour l'instant, tout ce qu'on a trouvé, c'est quelques vols de Pokémon ici et là, et c'est insuffisant pour alerter les gens."

"Tar ?"

Eléana me regardait d'un air interrogateur. C'est vrai que malgré les trois ans passés en ma compagnie, elle était plus jeune qu'Abra, et elle ne comprenait peut-être pas tout ce qu'il se passait.

"Là où je veux en venir, Eléana, c'est qu'à force d'interroger les gens sur notre route, nous risquons d'attirer l'attention, et si cela arrive, nous devrons être capables de faire face aux membres de la Team Rocket. Nous allons donc devoir nous entraîner. Et je vais donc être contraint de vous faire affronter des Pokémon sauvages et ceux d'autres dresseurs."

Abra resta silencieux durant tout ce temps. Il ne semblait pas dormir, ce qui était rare, et il avait l'air d'être d'accord avec ce que je venais de leur dire. Par moments, j'avais même l'impression que nous pouvions communiquer et nous comprendre l'un l'autre, sans même parler le même langage, ni même parler tout court. Peut-être qu'en affinant leurs pouvoirs psychiques, mes Pokémon seraient en mesure de communiquer avec moi par télépathie. Mais je n'avais pas d'autre moyen de le découvrir qu'en les entraînant. Je rangeai mon sac de baies et me levai.

"Allez, on est repartis, on a encore du chemin à faire. Au tour d'Abra, maintenant, alors reviens, Eléana, et je te préviens, pas la peine de bouder !"

Je pointai sa Poké Ball vers Eléana et un faisceau rouge la fit réintégrer son micro-environnement, tandis qu'Abra se téléporta sur mon épaule. Mais je n'allais pas tarder à faire à nouveau appel à eux deux.

Un pokémon sauvage apparaît:

Cerfrousse ♂
lvl. 10
Attaques:
- Charge
- Groz'Yeux
- Etonnement
- Hypnose

Alors que je marchais, toujours d'un pas détendu, le Mont Sélénite dans mon dos, et les plus hauts immeubles de Céladopole commençant à pointer à l'horizon, un bruissement se fit entendre à proximité. Je me tournai vers l'origine du bruit et remarquai un mouvement parmi les hautes herbes. Le mouvement perdura pendant plusieurs insoutenables secondes, puis un quadrupède sortit des fourrés. Des bois ornés de boules noires, des sabots, un pelage brun, il s'agissait de toute évidence d'un Cerfrousse. Ce Pokémon était connu pour faire partie d'élevages, au même titre que les Ecrémeuh. Tandis que ces dernières étaient élevées pour leur fameux lait, les Cerfrousse permettaient, lorsque l'on réduisait les boules noires de leurs bois en poudre, de produire de puissants somnifères utilisés entre autres par les hôpitaux. Bien sûr, il n'était pas à exclure que l'utilisation de ces somnifères puisse être menée dans de mauvaises intentions par mon organisation criminelle préférée, mais là encore, il ne s'agissait que de supposition.

Par nature, les Cerfrousse sont plutôt dociles, voire même craintifs. Ce trait de caractère était assez connu, puisque cette espèce faisait partie des exemples les plus courants donnés aux adolescents lors des cours traitant de la cohabitation entre les humains et les Pokémon. Mais l'individu qui me faisait face avait une étincelle farouche dans ses yeux. Sans doute m'étais-je trop approché du territoire qu'il occupait avec sa famille. Même les Pokémon les plus pacifiques pouvaient se montrer belliqueux lorsqu'il s'agissait de protéger leur famille. Je ne pouvais que comprendre ce comportement. Je n'avais cependant aucune intention de m'en prendre à ses congénères, et malgré tout, j'allais l'affronter. Par correction, je m'adressai tout de même au Cerfrousse.

"Je n'ai pas l'intention de pénétrer ton territoire ni de menacer les tiens. Néanmoins, mes Pokémon doivent s'entraîner, et je n'ai pas l'impression que tu me laisseras passer bien gentiment. Vas-y Abra."

Je sentis le poids de mon Pokémon quitter mes épaules, et je vis Abra se matérialiser entre Cerfrousse et moi. Malheureusement, il s'avérait que mes Pokémon, aussi bien Abra qu'Eléana, ne connaissaient qu'une seule attaque offensive, à savoir Choc Mental. Qui plus est, l'autre attaque que connaissait Abra n'était autre que Téléport, qui lui permettait de fuir un combat, donc je n'étais pas bien avancé. Tant pis, Abra allait devoir utiliser cette attaque jusqu'à ce qu'il vienne à bout de son adversaire. Cerfrousse commença à fixer Abra d'un air menaçant. Il en faudrait plus pour effrayer mon Pokémon, néanmoins il me semblait qu'il s'agissait d'une attaque basique, Groz'Yeux, si je ne m'abusais, qui intimidait sa cible, pour que la peur la fasse se défendre moins efficacement. En tant que Pokémon psychique, Abra n'était déjà pas bien résistant aux assauts directs. Il se débrouillait bien mieux face aux attaques spéciales. Mais pour ce combat, il ne me restait qu'un ordre à donner.

"Abra, n'utilise que l'attaque Choc Mental."

Autour d'Abra, l'air se fit légèrement pesant. La pression de l'esprit de mon Pokémon influait sur la matière, et des petits objets de tout type convergèrent sur Cerfrousse. Le cervidé encaissa les projectiles de plein fouet, mais il allait visiblement en falloir plus pour le vaincre. Il se mit à remuer ses bois, et en les fixant, je sentis mes sens s'engourdir. Je m'empressai alors de regarder ailleurs. Si j'avais continué à regarder, je me serais probablement assoupi. Mais ça ne dérangerait pas Abra, qui pouvait agir tout en dormant. Celui-ci continua donc à lancer ses attaques, appuyant directement sur l'esprit de son adversaire cette fois. Cerfrousse se raidit, luttant contre le pouvoir d'Abra. Puis il chargea tête baissée. Le choc projeta mon Pokémon en arrière, mais il se releva, heureusement. Le cervidé haletait, et je pouvais voir les jambes d'Abra trembloter. Les deux Pokémon avaient visiblement plutôt mal encaissé les dernières attaques. Je devais terminer ce combat, ou Abra allait s'évanouir.

"Abra ! Attaque-le encore une fois ou il en profitera ! Choc Mental !"

Mon Pokémon se mit à léviter, rassemblant sans doute son énergie dans le pouvoir de son esprit, plutôt qu'à se maintenir debout. En face de lui, le Cerfrousse, visiblement désorienté, tituba et chargea un pauvre tronc d'arbre qui ne lui avait pourtant rien fait. Les attaques d'Abra avaient dû le déboussoler, et la confusion l'avait mené dans la mauvaise direction. La résistance inattendue de l'arbre le sonna, et il s'effondra, à bout de forces.

"Tu peux revenir, Abra, tu as bien mérité de te reposer. Je dois dire que ce n'est pas passé loin. Je ferais d'ailleurs mieux de me dépêcher avant qu'il reprenne ses esprits, je doute qu'Eléana puisse prendre le relais."

Prenant Abra dans mes bras, je me remis en route, décidé à atteindre ma ville natale avant la nuit. Je prenais conscience de la difficulté que j'allais avoir pour entraîner mes Pokémon, s'ils devaient faire face à des adversaires aussi agressifs. Ma Tarsal risquait fort de paniquer. J'allais sans doute devoir la faire combattre des Pokémon plus calmes. Ceux-ci n'étaient pas rares, et je me doutais que je manquerais pas d'occasion de la faire devenir plus forte.